Sky n'a pas eu de chance. Il est né dans un des quartiers les plus défavorisés de Tokyo, d'une mère alcoolique et d'un père violent. Tous deux étaient capables d'un peu tout et n'importe quoi pour survivre dans ces bas lieux et la venue d'un enfant dans leur famille ne les a pas réellement ravi. Ils pensaient au début à le tuer ; comme l'ont déjà fait de nombreux parents ici. Puis pour une fois, une lueur d'intelligence a traversé leur esprit et ils se sont dit que s'ils l'élevaient quelques années ils pourraient se faire vraiment beaucoup d'argent en le revendant à qui-sait-quoi. En plus de ça, il est blond et japonais, c'est tellement rare que ça doit valoir une fortune. Content de leur conneries, il ne fut pas pour autant traité correctement par ses parents.  Non non, ça vaut trop cher, on ne peut pas acheter et de l'alcool et de quoi nourrir le gosse, vous voyez? Du coup, il se contentait de boire le sein de sa mère et quand il était chanceux il récupérait les restes. Un peu comme un chien. Il n'a même pas eu de nom; à quoi cela servirait-il? Il ne leur appartiendrait plus d'ici quelques années. Quand il fut assez grand — aux alentours de cinq ans, ses parents le lâchèrent dans les rues et il fit connaissance avec les autres pauvres gamins dans la rue. Et c'est à partir de cet âge là que "Le blond" découvrit que le monde n'était pas forcément bon, particulièrement ici.

C'était un jour d'été, il faisait particulièrement chaud et la plupart des enfants étaient vraiment déshydratés. Comme d'habitude, les parents étaient trop dans leurs délires pour pouvoir s'occuper d'eux; il va falloir aller voler. "Le blond" semble accepter sans grogner: c'est sa "première fois" et il n'a aucune idée de ce qu'il va devoir faire. Ils se dirigent vers la supérette la plus proche ; ne jouissant pas d'une richesse vraiment énorme a cause des nombreux vols. Tout innocent, il entre dans le magasin, souriant un peu tristement au vendeur sans même savoir ce qu'il faisait. Ses camarades se dirigent dans le rayon des boissons pour prendre cinq petites bouteilles de cinquante centilitres: une pour chacun en sommes. "Le blond" aussi en prend une, mais se rend compte en se dirigeant vers la caisse qu'il n'a pas l'argent pour la payer. Il m'informe à ses camarades qui se contentent de se moquer de lui.  

T'as cru qu'on allait la payer? T'es con ou tu le fais exprès?
— Mais... C'est écrit qu'on doit la payer...

Ils explosent joyeusement de rire, et le blondinet penche la tête en signe de confusion. Il n'a pas encore conscience que dans ces quartiers, la loi n'existe plus et que c'est la jungle totale. Il regarde le vendeur. Il est vraiment maigre lui aussi, un teint bronzé et des yeux de couleur ciel au moins aussi bridés que les siens. Il lui sourit un peu, mais lui n'y comprends plus rien. Ses camarades te font signe de partir mais ses yeux ne quittent pas ceux du vendeur. Il lui fait signe de la tête de partir. "De toute façon, une de plus ou une de moins..." Ses camarades lui tirent le bras.

« Mais c'est interdit... »

Il atteint ses dix ans en se jurant de ne jamais voler le vendeur de nouveau. De ne jamais voler quoi que soit; c'est illégal, on lui l'a dit. Il voyait tous ses camarades voler de l'argent à des touristes perdus et parfois même des objets "technologiques". Y'en avait même un; il était vraiment incroyable, ça s'appelait un "téléphone" ou un "smartphone". Y'avait un écran, ça ressemblait un peu à une télé mais en plus petit et quand on touche l'écran, il change. C'était vraiment étrange comme mécanisme, personne ici n'avait imaginé que quelque chose comme ça existait. Malheureusement, il fallait lire pour pouvoir faire la plupart des choses là dedans, et aucun d'entre eux ne savaient lire, même les parents avaient un peu de mal. Certains ne savaient même pas du tout, étant né aussi dans ce trou. Il regardait mais seulement des yeux, il ne voulait pas toucher à quelque chose ne l'appartenant pas. Mais il le voulait. Il voulait il voulait il voulait il voulait. Tout. Tout. Tout. Tout. Il s'est juré de sortir de ce trou, d'avoir plein d'argent gagné en travaillant, de devenir riche et de tout acheter, d'acheter le monde.

Dix ans, c'est aussi l'âge où ses parents l'ont vendu. Ça se voyait que les parents avaient attendu ce moment toute leur vie, le nombre de billets étaient tellement gros, le blond n'avait jamais vu ça. Mais ils ont vendu leur fils, ils ont vendu la personne que sa mère avait élevé, sa chair, son sang, sa salive, ce gosse était une partie d'eux. Et ils l'avaient vendu pour de l'argent. Finalement, il ne valait pas mieux qu'un million de yens. Ça le rendit très triste, de se faire abandonner par ses parents biologique. Mais avec une telle somme d'argent, il espérait être dans une famille moins pauvre ; voire riche pour pouvoir se permettre de telle dépenses. Il ne savait pas du tout ce qu'il allait y faire cependant ; sûrement pas "gosse", si? Il ne sait pas du tout comment ça se passe là bas, mais il espérait qu'eux au moins fassent preuve d'un peu de raison. Quand il rentre dans son nouveau chez-soi, il remarque que c'est grand. Que c'est luxueux. Que ça s'appelle un manoir. Il est dans une voiture, grande et propre. C'est tellement différent de ce dont il a l'habitude, c'est un tout nouveau monde pour lui. Il en avait peur, ça le fit un peu pleurer au début. On lui dit qu'il allait devoir parler au type qui dirige le manoir. C'était grand alors il ne savait pas où aller, il s'est beaucoup perdu et a demandé à quelqu'un de l'accompagner. Quand il arriva, c'était un vieil homme approchant de la cinquantaine qui se présenta devant lui. Il était grand, imposant, effrayant, le garçon en eut peur du haut de son mètre quarante.

« Bonjour...
— Bonjour. C'est toi le nouveau? »

Il hoche la tête timidement en faisant des petits signes stressés avec ses mains. Il essaie tant bien que mal d'être présentable en se tenant droitement, les bras parallèles au corps.

« Tu peux me donner ton nom?
— J'en n'ai pas.  
(il marque une pause pour réfléchir) — Sky, ça ira? Ça veut dire « ciel » en anglais.
— Oui. »

Il semble impassible mais au fond de lui, il n'a jamais été aussi content. Ciel... Peut-être à cause de ses yeux bleus, rarissime parmi les japonais. Il rougit doucement, heureux par une preuve d'affection. Le vieil homme s'approche de lui et lui relève le menton pour qu'il puisse le regarder dans les yeux.

« A partir d'aujourd'hui, tu travailles pour moi, Sky. Moi, c'est Fuyuki Natsuki.
— Mais, um, je suis censé faire quoi...? »

Il cache ses mains derrière ses dos pour imiter le sérieux qu'il ne prouve pas vraiment avec ses questions pas très intelligentes et pas vraiment bien formées.

« Tu as dix ans c'est ça?
— Oui.
— Et tu sais lire?
— Non...
— On va t'apprendre à lire alors, d'abord. »

Il sourit et hoche la tête. S'il apprend à lire, il va pouvoir faire tellement, tellement de choses!

« Et après?
— Après..., il marque une pause, On verra. Tu m'as l'air intelligent, je ne vais pas te laisser faire le ménage. »

Il lui sourit. Sky ne s'y attendait tellement pas, à cette gentillesse et cette douceur, de la part de quelqu'un d'aussi imposant. Il n'avait jamais vu quelqu'un d'aussi gentil et il était vraiment content.

Et le temps passe, comme ça. Sky apprend à lire, Sky apprend à compter correctement, Sky apprend à écrire, Sky apprend plein de choses. Il est content. Au bout d'un moment, Sky devient une sorte de fils adoptif - le seul fils que Natsuki avait eu était décédé quelques années avant l'arrivée de Sky; d'une crise d'asthme. C'était triste, Sky compatissait pour le vieil homme. Il se demanda ce qu'il pensait de lui, comment il considérait le blond. Mais il n'osa pas demander.

A seize ans, Sky était devenu un beau jeune homme, motivé, sérieux, et tous ces trucs. Ça le rend particulièrement détestable et pourtant, Natsuki semble le chouchouter légèrement; ce qui ne le rend absolument pas malheureux. Mais il y a quelque chose qui manque à Sky, quelque chose qui le rend terriblement vide; c'est son manque de possession. Alors, certes, il avait quelques libertés par-ci par-là mais aucune de ses choses ne lui appartenait; la famille était très aisée et lui venait de la rue, il était pauvre, il n'avait pas d'avenir, il avait rien. De temps à autre il soupirait en voyant quelque chose en or, il fixait vaguement les repas qu'on lui offrait qui l’écœurait au possible: il avait eu l'habitude de se nourrir d'ordures, de restes, d'eau, parfois de pain; pas plus, il ne supportait que très peu ce qu'on lui "offrait".

Natsuki l'avait bien remarqué.

Un jour d'hiver, Sky était assis sur une des marches d'un escalier menant dehors. Il regardait la neige tomber, le froid l'envahir, ses yeux s'engourdir, sa respiration former des petits nuages. Il avait toujours détesté l'hiver. Plein de gens qu'il connaissait en mourrait, de froid, de faim, parfois tués mais cela ne dépendait pas des saisons. Lui, il était encore là, et quand il y pensait, il se sentait coupable, d'avoir laissé ses camarades là bas, de vivre une vie de gosse de riche pendant qu'eux croulaient et tombaient dans les quartiers bas où on tuait, troquait, mourait.

« Sky? »

Il sort brutalement de sa rêverie et se lève tout de suite, les bras parallèles à son corps.

O-Oui?
— Qu'est-ce que tu fais?
— J'observais un peu le paysage... Pas grand chose en somme.
— Uh-huh. A quoi tu pense alors?
— Au futur.
— Et donc?
— J'ai seize ans. Il va bien falloir que je parte, un jour, mais je ne sais toujours pas ce que je veux faire — en vérité je n'y ai jamais réfléchis.
— Tu es encore jeune, tu sais. La majorité c'est vingt-ans, tu peux y réfléchir plus tard.
— Certes..., une pause, Je ne veux pas vous soutirer de l'argent, je ne veux pas non plus ne rien faire et rester ici, j'aimerais prendre mon indépendance, un jour; si ça ne vous gêne pas.
— Non, bien sûr que non.

Il marque un silence, regardant la neige tomber des arbres morts, réfléchissant un peu.

Votre fils... Quelle genre de personne était-il?

Le vieil homme se courbe, comme si la question l'avait surpris, énervé, irrité.

Ah — désolé, vous n'êtes pas obligés de me répondre...
— Il te ressemblait.

Huh?

— Beaucoup. (silence) Ses cheveux n'étaient pas blonds, ses yeux n'étaient pas bleus, mais ses traits étaient presque identiques. Il était bienveillant, quelque peu maladroit, mais d'un sérieux presque risible mais ses yeux étaient toujours quelque peu vides. Personne ne savait jamais pourquoi.

... ? Ses yeux étaient vides, à lui aussi?

— Qu'est-ce que tu penses, quand tu réfléchis?
— A mon ancienne vie, à mes amis, à mes parents biologiques. A l'hiver plus que détestable, aux vols trop fréquents, à l'odeur pourrie des cadavres, aux magasins en faillite.
— Ça te manque?
— Je suis né là bas, après tout.
— Tu aimerais y retourner?
— Ils me détesteraient.
— Certes.

Un nouveau silence plane. Aucun des deux n'osent dire quelque chose. Sky se demande ce que sont devenus ses parents. Peut-être avaient-ils dépensé le million de yens dans l'alcool? Peut-être avaient-ils songé à vivre d'une manière correcte? Peut-être s'étaient-ils fait voler l'argent et tués par la suite... Et ses amis, Byakuya, Subaru, Akio, que sont-ils devenus? Sont-ils morts? Du froid, de faim, tués? Un mode de pensée bien pessimiste l'envahit, et son soupir se transforme en un petit nuage éphémère.

— Je ne suis probablement pas né pour une vie aussi confortable qu'ici.
— C'en serait bien dommage.
— Certes. Quelqu'un de meilleur qu'un enfant de la rue mériterait probablement ma place, un orphelin peut-être, un malade, un sans domicile fixe, je ne sais pas.
— Tu aimerais partir?
— Je ne veux pas vraiment retourner dans les rues, mais rester ici, je trouve que c'est un peu ennuyeux.
— Si tu veux vraiment partir, je ne te retiendrais pas.
— ... Vraiment?
— Viens.

Il se lève, confus par ce qu'allait faire Natsuki. Il suit le vieil homme, se posant trop de question, devenant quelque peu parano. Qu'est-ce qu'il allait faire? Pourquoi montaient-ils dans son bureau? Qu'allait-il faire? Signer des papiers? Recevoir des clefs? Pourquoi? Pour qui? Comment? Où? Ses mains tremblent légèrement - est-ce l'effet du froid, de la fatigue ou du stress? Il prend une respiration profonde et regarde son "maître" rentrer dans la pièce, Sky restant planté entre l'entrée et la sortie.

« Ferme la porte, s'il te plaît. »

Il s'empresse de rentrer complètement et de la fermer. Il suit Natsuki du regard, cherchant quelque chose, parcourant ses tiroirs, ses armoires, son bureau. Sky lui, se courbe, ses bras tremblant un peu. Pourquoi est-ce qu'il avait aussi peur? Parce qu'il allait partir? Ça entrait en contradiction totale avec ce qu'il avait dit il y a dix minutes.

« Approche approche, il n'y a aucune raison d'avoir peur! »

C'est vrai. Pourquoi est-ce que Natsuki lui ferait quelque chose de mal? Jusqu'à aujourd'hui, il avait supporté tous les caprices du blondinet, réalisé tous ses souhaits, alors pourquoi aujourd'hui? Un nouveau soupir. Natsuki sourit après avoir tiré un énième tiroir. Il jette un coup d'oeil discret à son contenu. ...? Le vieil homme pointe une arme à feu, un revolver, vers la poitrine du blond.

... Huh?
— C'est dommage tu sais, je ne voulais pas tuer un blond, c'est tellement rare.
— P-pourquoi...?

Le blond se met à trembler de tout son être, reculant, trébuchant, essayant de sortir de la pièce, de, je ne sais pas, rester en vie? C'est quoi son problème? Pourquoi il fait ça? Il est possessif? Natsuki ne lui avait pas semblé aussi instable, aussi, aussi...? Sky ne trouvait pas les mots, il était confus, trop confus, rien ne lui semblait logique; peut-être qu'au fond, il avait fait partie d'une simple manipulation, d'un jeu, d'un plan. Il essaie de réfléchir mais qu'on a la mort en face de soi, c'est assez compliqué. Il se met à hyperventiler comme il ne l'a jamais fait. La seule chose qu'il voyait, c'était essayer de répliquer et même si quand il était gosse il était "forcé" à se battre, les chances pour qu'il ait de quoi rivaliser avec quelqu'un de presque quarante ans de plus que lui sont ridiculement basses.



[trop de productivité tue la productivité]